Raconter sa vie, jusqu’au bout : la biographie hospitalière en soins palliatifs

Chaque vie est belle. Chaque histoire mérite d’être racontée. C’est la conviction de Sophie Bobbé, biographe hospitalière dans le service de soins palliatifs du centre hospitalier des Diaconesses Croix Saint-Simon. Son activité, soutenue par la Fondation Notre Dame, permet aux patients de raconter leur vie pour en faire un livre à transmettre à leurs proches.

Raconter ce qui a compté

Dans les couloirs de l’Unité de Soins Palliatifs (USP) des Diaconesses, il y a des œuvres d’art accrochées à tous les murs. Ce sont des cadeaux, réunis par une famille reconnaissante. Chaque patient peut en choisir une pour sa chambre, pour personnaliser ce lieu le temps de son séjour. « Prendre soin et accompagner », tel est l’esprit de ce service. La mission de Sophie Bobbé entre pleinement dans ce projet.

couloir hopitak

Lorsqu’un nouveau patient arrive et qu’il est bien installé, elle passe dans sa chambre lui proposer ses services de biographe hospitalière. Elle réalise des entretiens, au nombre et à la durée variables, selon l’état physique et psychologique du patient, puis elle écrit et retravaille avec lui ce qu’il lui a confié afin d’en faire un livre, qui sera ensuite remis à sa famille. Tout est choisi avec soin par le patient, de la couleur de la couverture au type de papier. Le manuscrit est ensuite envoyé chez une relieuse d’art.

Pour surmonter les hésitations de certaines personnes, Sophie Bobbé leur répète son mantra : chaque vie, aussi simple soit-elle, est une belle vie, il n’est pas nécessaire d’avoir fait le tour du monde pour qu’elle soit intéressante.

Les patients lui racontent ce qu’ils souhaitent mais la biographe les invite, par ses questions, à évoquer ce qu’ils ont vécu de beau : la rencontre de la personne aimée, la naissance de leurs enfants, le choix de leurs prénoms… Des choses essentielles, des moments heureux. En général, les patients évoquent peu leur maladie, leur mort prochaine car ce travail d’écriture les fait « rester du côté de la vie jusqu’au bout de leur vie. »

Puis, quand elle retranscrit tout ce qui lui a été confié, la biographe ne tente pas de faire du beau style mais d’être fidèle à ce dont elle est devenue dépositaire. « Je m’efface derrière leur voix, pour rendre le plus fidèlement possible la langue de l’autre. »

Elle reprend ensuite avec eux la première version écrite. Ils peuvent ajouter, retrancher, reformuler. Réaliser cette biographie n’est pas juste transmettre des événements, c’est chercher pour les dire les intentions qui les sous-tendent.

choix toiles
dépliant bibli

Un travail essentiel

Les patients qu’elle rencontre ont tous les âges. C’est ce jeune papa qui lui confie : « Je sais que je vais mourir bien avant que mon enfant puisse se souvenir de moi, de mon visage, de qui je suis. Pour moi, c’est très douloureux. J’ai besoin de lui laisser un maximum de choses. » C’est ce vieux monsieur juif, qui n’avait jamais parlé de la rafle du Vélodrome d’Hiver qu’il a vécue et de tous ses chers disparus, qui dormaient dans son cœur et qu’il n’osait pas réveiller.

C’est cette mère de famille qui souffre terriblement de ne plus pouvoir prendre soin de ses quatre enfants et qui retrouve un sens à cette période douloureuse en leur préparant un livre chacun, pour leur raconter leur histoire. C’est Françoise, cette patiente de soixante-dix ans, qui après avoir raconté à Sophie une partie de sa vie, a décidé de continuer à écrire la suite par elle-même, pour sa petite-fille de quinze ans. Les entretiens et le travail commun l’ont aidée à oser se lancer. Cette relecture de vie lui a aussi permis de réaliser que, même dans les moments durs, il y avait quelque chose ou quelqu’un qui a éclairé le chemin.

Ce travail est thérapeutique. Il apaise, libère. Il permet aux patients de se débarrasser des colères et rancœurs qui encombrent. « En racontant, ils se départissent de ce qui les alourdit » affirme la biographe. Cette série d’entretiens et ce travail d’écriture leur offrent la possibilité de se remettre à la juste place dans leur histoire et à la regarder avec bienveillance. Cette biographie leur permet d’être en vérité devant leur propre vie. Pour les descendants, qui sont infiniment reconnaissants, la biographie reçue les aide à traverser le temps du deuil et à comprendre d’où ils viennent.

pour muriel et jeroùe

Sophie Bobbé réalise entre trente et quarante récits par an. Elle est présente dans l’établissement deux jours par semaine, faute de budget pour un troisième jour. C’est parfois insuffisant car la durée du séjour des patients en soins palliatifs est très variable mais souvent courte, chaque jour compte. Son salaire est uniquement financé par des dons car les hôpitaux n’ont pour le moment aucun moyen financier à mettre au service de ce métier pourtant fondamental.

En effet, pour les patients, l’écriture de leur biographie, le fait de « parler de leur vie jusqu’au bout de la vie », donne du sens à ce moment si particulier, où ils savent qu’on ne peut pas les guérir, qu’ils sont au bout du chemin. Dans ce temps-là de leur vie, il est essentiel de leur proposer quelque chose qui leur permettra de continuer à vivre, par-delà la mort.

Entretien avec Françoise, patiente qui bénéficie actuellement des services de biographie hospitalièr

Comment s’est passée votre premier contact avec la biographe hospitalière ? Elle est venue me voir en douceur, pour m’écouter, me parler, me dire que peut-être écrire une biographie pourrait m’aider. J’avais commencé par moi-même il y a une vingtaine d’années, quand j’avais eu mon premier cancer, mais c’est difficile, j’avais perdu la motivation. Avec Sophie, c’était différent, c’est devenu thérapeutique, ça m’aide à remettre ma vie en forme.

Comment a-t-elle procédé ? Elle a de très bonnes questions, elle m’a aidée à mettre de l’ordre dans la façon de présenter mon travail. Je viens d’une famille très nombreuse, c’est très compliqué de ne pas s’y perdre. Elle a de l’expérience. « Est-ce qu’on raconte tout ? Est-ce qu’on se focalise sur certaines choses plus que d’autres ? » Cela m’aide à me recentrer. Ma fille m’avait demandé si je pouvais écrire ma vie, parce qu’on oublie les choses. Ça m’aide, de me rappeler de toutes ces choses, et je deviens de plus en plus bavarde ! Au début, c’est elle qui me posait des questions et qui écrivait, puis on avait des échanges, mais maintenant c’est moi qui écris et elle relit ce que j’écris. Elle m’aide à mettre un cadre, parce que je mélangeais tout. C’est vraiment bien d’avoir ce regard extérieur.

Quel bien vous fait ce travail ? Avoir enfin quelqu’un qui me dit : « Oui, ça vaut le coup, oui, votre histoire est importante à raconter » me fait du bien. Cela m’aide à mettre la maladie en arrière-plan et à retrouver un équilibre en moi-même. Avant, je n’osais pas, je ne trouvais pas ma vie assez intéressante. Avec tous mes traitements, le fait d’écrire m’aide à garder l’espoir, à voir que ma vie est belle, à me souvenir de toutes les belles personnes que j’ai croisées tout au long de ma vie et à voir comment j’ai évolué. C’est un cadeau, qu’elle soit là, à l’écoute, à poser les bonnes questions, en douceur. Des questions qui ne font pas mal, qui vont réveiller des choses en nous en douceur.

 

 

Propos recueillis par Maëlle Daviet

 

 

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